Aimer- Penser
Coeur naïf! J’avais cru
pouvoir à tous les yeux
Dévoiler mes douleurs comme
en face des cieux,
Et trouver pour mon âme une
âme,
Une seule parmi la foule des
humains,
Un inconnu qui vînt me
prendre les deux mains,
Un seul amour d’homme ou
de femme !
Pauvre fou! je croyais à la
sainte pitié
Qui verse doucement et
longtemps l’amitié
Sur les blessures d’un cœur
triste,
Et je ne savais pas, honte!
qu’au lieu de pleurs.
Le monde, gai toujours,
donne à toutes douleurs,
Un éclat de rire égoïste !
C’est bien ;- je garderai
pour toi, dont je suis sûr
Pour toi seule et pour Dieu
mon malheur calme et pur,
que salirai la foule avare,
Et grand par ma douleur, et
grand par mon orgueil .
Si dans des vers badins je lui
cache mon deuil,
elle me jouera sa fanfare !
Et quand mes chants auront
amusé les pervers,
Toujours contents de voir
apparaitre en des vers
Des inutilités impies,
Je crierai, me dressant, sage,
au-dessus des fous,
La justice en mes mains, et les
fustigeant tous
D’un fouet d’ ïambe et
d’utopies:
« Ô monstres! Vous avez
devant Dieu, devant Dieu!
Devant le firmament auguste,
Dressé vos tréteaux vils et fait
un mauvais lieu
De la nature belle et juste!
« Votre société sur les noirs
préjugés,
Penche comme un vaisseau
qui sombre:
Rien de vous ne vivra!
« Navires et naufragés
vous serez engloutis par
l’ombre!
« Ah! Vous vous êtes dit, en
votre lâcheté ,
Que le mal sur le monde
régne
Qu’il doit régner toujours;
qu’une fatalité
Veut que toujours un Jésus
saigne !
« Ah! Vous traitez encore
d’insensés les penseurs,
les libres rêveurs, les poètes,
Qui,- lorsque vous croisez
vos haines -âmes soeurs
gémissent sur ce que vous faites!
« Ah! Vous pourriez trouver
dans l’éternelle paix
Une félicitée profonde,
Et vous ne voulez pas, et vos
esprits épais
Se vautrent dans la nuit
immonde!
« Vous célébrez en choeurs
arlequins et bouffons,
Vous pensez que, bête
acrobate
j’avais fait pour mon âme un
habit de chiffons,
que mon vers était une batte?
« Et bien , détrompez-vous
Quand j’ai pleuré, méchants,
contre moi vous tourniez vos
armes,
lorsqu’ils semblaient rieurs,
vous admiriez mes chants,
ignorant qu’ils étaient des
larmes!
«Votre immense mépris, je le
compte pour rien,
Pour rien vos paroles amères!
«Je suis plus grand que vous,
car je travaille au Bien!
J’ai pitié, moi, de vos misères!
«Et je vais seul.. j’avance : en
ma force j’ai foi;
Je suis l’homme du sacrifice!
Et quand vous serez tous
insensés comme moi,
Alors règnera la justice! »
C’est afin de plus tôt les
accabler ainsi
que je ne veux pas mettre à
leur folle merci
Plus longtemps mon âme
brisée;
Désormais nul d’entre eux ne
saura ma douleur;
A toi je veux livrer ma pensée
Et mon cœur!
Ils n’auront eux, que ma pensée !
Jean Aicard